Le mouvement des gilets jaunes qui démarra il y a maintenant 4 mois, avait (et a encore) comme principale revendication « moins de taxes et d’impôts et plus d’égalité fiscale ». Que faut-il penser de cette demande de moins d’impôts et de plus de « justice fiscale » ? Découvrez quatre arguments édifiants !

  1. La France est l’un des pays au monde supportant le plus de prélèvements en tout genre car l’Etat depuis 40 ans, malade de l’impôt, est incapable de baisser la dépense publique.
  2. Beaucoup de Français détestent les riches ou ceux qui s’approchent de la richesse, fusse au prix de leur travail et /ou de leur talent (et paradoxalement un footballeur qui gagne plusieurs millions par mois est encensé, voire adulé alors que bien souvent il échappe à une partie de l’impôt-comme les droits à l’image ou les contrats publicitaires versés dans des sociétés offshore) sans savoir que ces « riches » contribuent déjà énormément à l’impôt.
  3. Si la France est championne du monde pour le poids de l’ensemble de ses contributions, elle est aussi championne d’Europe pour la redistribution fiscale.
  4. La France souffre également en matière de fiscalité de deux maux congénitaux, endémiques, chroniques et systématiques : une fiscalité illogique et illisible (en plus d’être souvent inefficace), et une grande instabilité fiscale qui conduit année après année à réécrire 20 à 25% du Code Général des Impôts.

La France, championne d’Europe des prélèvements sociaux

Côté « impôts indirects », en additionnant tous les prélèvements obligatoires, impôts, taxes et cotisations sociales, le niveau de des prélèvements sociaux plaçait la France, en 2017, au 1er rang européen avec 48,4% du Produit Intérieur Brut, soit 1 point de plus qu’en Belgique et 2 à 5 points au-dessus des trois pays scandinaves.

Selon l’iFRAP, sur la période de 2010 à 2017, les impôts directs ont progressé de plus de 63 milliards d’euros, atteignant 250 milliards d’euros en 2017, soit une hausse globale de 25,2%.

Côté « impôts directs », nous sommes sinon en tête, du moins parmi les tous premiers.

En matière de droits de succession, la France est le pays européen ayant la fiscalité la plus lourde. Le taux le plus élevé du barème, pour une transmission parents-enfants, est de 45%. Ce taux s’applique à partir d’un patrimoine à transmettre de 1 805 000 € par enfant. Certes, environ 80% des successions en France sont inférieures à 100 000 € (montant de l’abattement pour transmission en ligne directe tous les 15 ans). Toutefois, les successions qui ne sont pas en ligne directe sont plus lourdement taxées (jusqu’à 60%) et les abattements symboliques. En Europe, nos voisins ont globalement une fiscalité successorale plus douce. En Allemagne, pour les transmissions en ligne directe (parents-enfants), le taux d’imposition maximal atteint 30 % à partir d’un patrimoine à transmettre de plus de 26 millions d’euros (le taux est de 15% pour les successions comprises entre 300 000 et 600 000 € ; de 19% pour les successions comprises entre 600 000 € et 6 millions ; de 23% entre 6 et 13 millions ; de 27% entre 13 et 26 millions). Une taxation qui intervient, là aussi, après application d’un abattement de 400 000 € par enfant (500 000 € pour le conjoint ou le partenaire enregistré). En Italie, le taux d’imposition est fixé à 4% pour le conjoint et les enfants. Et l’abattement qui leur est octroyé est d’1 million d’euros. En Suisse, cela dépend du canton, mais c’est aux alentours de 10%. 8 pays de l’Union Européenne ne taxent pas l’héritage en ligne directe : Luxembourg, Autriche, Portugal, Suède, Hongrie, Slovénie, Slovaquie, Estonie. La Suède a aboli cet impôt en 2004. On possède donc 15 ans de recul et on observe que malgré cet abandon, les inégalités ne se sont pas creusées.

Dans le monde, seuls 2 pays, le Japon (55%) et la Corée du Sud (50%) taxent plus que la France.

Seuls 42,5% des Français paient l’impôt sur le revenu

Il n’est pas inutile de rappeler que ceux qui réclament moins d’impôt n’en payent en général pas, puisque seulement 42,5% des Français (source rapport annuel 2017 de la DGFiP) payent l’Impôt sur le revenu (IR). Cette proportion est en constante diminution, elle était de 50 % en 2012 et de 45% en 2015. 

Selon la DGFiP, les ménages qui déclarent des revenus annuels supérieurs à plus de 50 000 euros (4 166€/mois) ont supporté en 2017 plus de 70% de la charge globale de l’impôt. Ces foyers représentaient 10% des foyers fiscaux. Le total de la contribution de ce décile est de 130 milliards d’euros.

Cette concentration monte d’un cran dans les tranches supérieures. De fait, 40,6% de l’impôt a été payé par les 2% de foyers qui ont déclaré plus de 100 000 euros de revenus.

La dernière étude de l’INSEE de 2018 sur « les revenus et le patrimoine des ménages » confirme le mouvement de concentration de l’impôt sur le revenu (IR). En 2015, le quart de cet impôt était acquitté par 1% des ménages les plus aisés. D’après le fisc, le nombre de foyers fiscaux dont les revenus dépassent le million d’euros s’élevait à 6 400 foyers en 2016. C’est peu. A eux seuls, ils ont rapporté plus de 3 milliards d’euros aux caisses de l’Etat.

Une redistribution massive des revenus

Si l’effort contributif est plus important en France qu’ailleurs, c’est en partie parce que le modèle social français redistribue des revenus de façon plus massive. Pour bien le mesurer, il faut comparer les indicateurs avant impôts et transferts sociaux et après.

Avant redistribution, le revenu mensuel moyen des 20% les plus modestes est de 553 euros pour une personne seule et de 4 566 euros pour les 20% les plus aisés soit un rapport de 1 à 8 environ.

Après redistribution, le revenu des plus modestes s’élève à 933 euros (en hausse de 69%). De son côté, celui des plus aisés diminue de 19% pour se situer à 3 705 euros. Le rapport est désormais de 1 à 4.

En d’autres termes, les inégalités ont été divisées par deux. Durant le précédent quinquennat, les tranches inférieures ont vu leur contribution baisser : de 1,9 point pour les ménages entre 30 000 et 50 000 euros, et de 2,2 points pour les foyers situés entre 15 000 et 30 000 euros. L’objectif de justice fiscale avait donc déjà atteint ses objectifs.

Pourquoi toujours plus d’impôts ?

Pourtant, ce sont ces moins de 20 % de Français que l’on veut taxer encore plus et à la demande de moins d’impôts, « les petits Géotrouvetout de Bercy », les « cadors du concours Lépine de la fiscalité » ne cessent de phosphorer pour trouver de nouvelles sources de revenus En fait, on répond à la demande de moins d’impôts par plus d’impôts…. étrange raisonnement ! Il n’y a pas une semaine sans que la folie taxative ne relève la tête et invente un nouvel impôt ou en ressuscite un. Tour à tour ce fut pour conserver la taxe d’habitation pour les « 20% les plus riches »[1], puis une taxation des plus-values sur la résidence principale, ensuite un alourdissement des droits de succession, ou la création d’une nouvelle tranche d’IR au delà des 45%, enfin la suppression partielle des niches fiscales ou la mise sous condition de revenus des aides sociales. Après avoir supprimé la taxe additionnelle sur les carburants, des parlementaires demandent son rétablissement quand certains demandent le retour de l’ISF confiscatoire [2] supprimé il y a seulement 18 mois (et remplacé par l’IFI, nouvel impôt sur l’immobilier).

Dans le grand mécano de la fiscalité, il a donc été un moment envisagé de supprimer certaines niches fiscales. Mais lesquelles ? Fallait-il punir les DOM-TOM, supprimer les aides à domicile pour encourager le travail au noir ?, gêner le cinéma français en supprimant les SOFICA ?, handicaper tout le secteur de la construction et  du logement en rayant les dispositifs Pinel ?

Quelle est la plus grande niche fiscale ?

C’est le CICE (Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi), qui a été créé en 2013 sous François Hollande, pour accroître la compétitivité des entreprises et créer des emplois. 

Mesure de politique économique extrêmement controversée, le CICE est un crédit d’impôt pour les entreprises sur les salaires qu’elles versent jusqu’à 2,5 SMIC. Cela représente environ 20 milliards par an pour les finances publiques. Mais cette année, le crédit d’impôt va se transformer en baisses de charges pérennes et directes.

Résultat : pendant cette année de bascule, les entreprises vont bénéficier à la fois du crédit d’impôt sur les salaires versés en 2018 mais aussi des allègements de charges sur les salaires qu’elles paient en 2019… D’où un coût budgétaire de 42 milliards qui correspond donc à la transformation du mécanisme.  

Le CICE est-il alors efficace ? Plusieurs équipes de chercheurs se sont penchées sur la question. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le bilan est plus que mitigé. D’après l’étude de l’Institut des Politiques Publiques, le CICE a permis aux entreprises de reconstituer leurs marges mais les effets sont « modestes sur l’emploi » et « quasi nuls sur l’investissement ». Un autre bilan réalisé cette fois par France Stratégie, un organisme qui dépend du Premier ministre, estime qu’entre 2013 et 2015, le CICE a permis « de créer ou sauvegarder » 100 000 emplois. Le moins qu’on puisse dire c’est que ca fait cher l’emploi créé…  

Le CICE est intéressant à étudier car on peut le rapprocher de l’impôt sur les sociétés (IS).

 

La bataille fiscale pour baisser l’IS

Depuis de nombreuses années, 27 des 28 pays de la CEE se livrent une bataille fiscale pour baisser leur taux d’imposition sur les sociétés, afin d’attirer les plus grandes entreprises internationales et les inciter à implanter leurs sièges sociaux chez eux.

En moyenne, les pays européens ont diminué de plus du quart leurs taux d’IS entre 2010 et 2016 : le taux moyen étant passé de plus de 32% à 23%. Parmi ceux qui ont fourni le plus d’efforts pour attirer les multinationales, l’Irlande est en tête avec une diminution de presque la moitié de son taux d’IS sur la période, puis vient l’Allemagne qui avait en 2000 de loin le taux  le plus élevé d’Europe, suivie de Pays de l’Est comme la Lettonie, la République tchèque et la Pologne, et le Royaume-Uni. 

Aujourd’hui, parmi les taux les plus bas, le pays gagnant est la Bulgarie avec un taux défiant toute concurrence de …10%. Les suivants sont bien évidemment ex-æquo l’Irlande et Chypre avec un taux de 12,5%, suivis par la Lettonie et la Lituanie (15%) chacun. Certes, ces petits pays de l’Union Européenne ne sont pas significatifs, et que d’autres facteurs poussent les entreprises à choisir un pays d’accueil plutôt qu’un autre (Infrastructures, qualification de la main d’œuvre, coût du travail, éducation, système de santé et de retraite…). Mais que dire de la Suède ou la Grande-Bretagne qui n’appartiennent pas à cette catégorie de « petits pays », et qui présentent un certain nombre d’avantages ont un taux d’IS de respectivement 21,4% (20,6% après le 31/12/2020) et 19% (17%  à partir de 2020) ?

En moyenne pour les 28 pays de la CEE (y compris la France), le taux moyen est inférieur à 21%.

En France, le taux d’IS est de 33 1/3% pour une entreprise qui réalise plus de 500 000 € de bénéfices. Notre taux d’imposition est donc près de 60% plus élevé que la moyenne des autres pays de l’union européenne. Le moins qu’on puisse dire, c’est que pour la taxation des entreprises, la France n’est pas compétitive en Europe, et donc pas très attractive. Il n’est pas difficile de trouver le pays qui parmi les 28 n’a pas baissé sa fiscalité sur les sociétés, même si pour les entreprises qui réalisent moins de 500K€ de bénéfices le taux d’IS doit passer (en principe, si l’engagement est tenu) progressivement de 28 % à 25 % en 2022.

Dès lors le CICE me fait furieusement penser à une béquille. On casse les 2 jambes du patient (l’entreprise) et ensuite en guise de lot de consolation, on lui offre une béquille qui n’attire pas les entreprises étrangères, n’aide pas les exportations, et ne crée pas d’emplois… Une vraie réussite particulièrement coûteuse.

N’aurait-il pas mieux valu baisser le taux d’IS ? Sans doute trop simple, top lisible et trop efficace pour l’esprit français, alors que l’on peut faire compliqué, incompréhensible et coûteux.

Voilà le système fiscal français. Folie de l’instabilité fiscale alors qu’on sait que les chefs d’entreprise, interrogés avant l’élection du président Macron, ne demandaient qu’une chose : de la stabilité.

 

Six enseignements

En conclusion, la France maintient un système fiscal particulièrement lourd, fait d’une addition de mesures bancales superposées qui rendent l’ensemble de l’édifice toujours illisible et inintelligible, souvent incohérent et sujet à moultes contestations. Pour l’avenir de notre pays :

1 – Rendons le système plus simple, plus transparent, plus en cohérence avec les autres pays de l’union européenne.

2 – Ecartons les hommes politiques qui prennent la fiscalité publique comme terrain de jeu en lançant à tout va une nouvelle idée qui leur passe par la tête. Ce n’est pas parce qu’ils ont perdu tout pouvoir sur la politique monétaire désormais apanage des seules banques centrales qu’ils doivent investir la sphère de la fiscalité pour continuer à exister.

3 – Arrêtons de lancer un ballon d’essai, ou d’envisager une énième réforme qui conduit souvent à l’instabilité, même si elle n’a pas lieu, à inquiéter les investisseurs, à faire fuir les capitaux, à provoquer la chute de l’investissement. Cela a été le cas de la loi ALLUR de Mme Duflot qui, bien avant son application, avait provoqué la baisse des locations et l’arrêt de la construction.

4 – Arrêtons d’empiler les réformes partielles sans vue globale, d’ignorer le marché et ce qui se passe chez nos voisins, de changer les règles du jour au lendemain, car tout cela conduit à maltraiter l’investissement et l’économie d’un pays.

5 – Arrêtons de prendre les Français « riches » pour des vaches à lait, des contribuables qu’on peut essorer à loisir sans limites, car la grogne ne viendra plus seulement des gilets jaunes.

6 – Arrêtons de stigmatiser les soit disant « riches » car un pays pauvre est un pays qui n’a plus de riches.

 

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[1] Cette dénomination binaire20/80 est non seulement schématique, mais elle incite les « 80% de pauvres » à détester les « 20% de riches ».

[2] Lors de sa création en 1982, l’IGF (renommé ensuite ISF) avait un taux marginal d’imposition de 1,5%. Ce taux représentait alors 10% du rendement d’une OAT de l’Etat Français à 10 ans. Aujourd’hui, le taux de l’IFI est inchangé à 1,5%, mais dans le même temps ce qui n’était qu’une ponction est devenue une spoliation car il représente désormais 200% du rendement de cette même OAT !

Olivier WALTERSPILER